Un cadeau de Pierre pour la Toussaint
La complainte de la boille à lait
Un poème en alexandrin, cadeau pour tous mes amis à l’occasion de la toussaint.
Pierre Favre
En ce jour de toussaint, veille du jour des morts
J’ai la vague impression qu’on veut me mettre en terre
Sous prétext’ fallacieux qu’à plus rien je ne sers !
Je ne puis m’empêcher de crier haut et fort :
« Je ne veux pas mourir même d’un’ belle mort ! »
Voici donc mon histoire pour ceux qui oublient tout
De la vie qu’on menait autrefois par chez nous.
En Jura se situent le lieux de ma naissance
Et tous mes premiers pas de pérégrination.
Puis les cîm’s argentées me donnèrent le nom
De « boille d’alpage » limitant mes errances.
Au milieu, le Chablais, parsemé de troupeaux…
Le corps qu’on ma donné, sachez qu’il est très beau :
Des formes arrondies donnant beaucoup d’espace
Pour contenir le lait si riche en matières grasses
Un faux col resserré par rapport aux épaules
Et la peau argentée des baigneuses de La Baule !
Un chapeau martelé pour protéger mon crâne
Des attaques du temps quand il est exécrable.
Des lanières en bon cuir m’attachant sur le dos
Du garçon du fermier m’emportant aussitôt
Vers ce beau bâtiment qu’on appelait « fruitière ».
On me penchait alors au-dessus du pèse-lait
Précautionneusement ; et l’on me décoiffait
Pour extraire de mon sein cette auguste matière.
Les choses ont bien changé : de troupeaux, y’en a plus
Sinon tous enfermés. Vaches et veaux sont reclus.
Et leurs laits en question ne sont plus transportés
Que par de longs tuyaux de plastique ou d’acier.
On m’a mise de coté, me trouvant inutile,
Au bord de l’écurie ou au coin du fenil,
Dans la cave glacée ou au fond du grenier.
C’est là bien tristement que l’on m’a oubliée.
Impossible de trouver dans le mond’ internet
Une photo de moi dans ma belle jupette
C’est un monde, quand même ! Y a pas si longtemps
Qu’on prenait soin de moi ! Que j’avais des amants !
J’ai vieilli, c’est certain, victime du temps qui passe,
Attaqué par la rouille, par les bosses…et j’en passe !
Mais je vous assure que mon âme engourdie
Peut présenter encore tous les signes de la vie
Mettez-moi dans les mains de quelqu’un d’honorable
Quelqu’un qui veuille bien me caresser le râble,
Redonner à mon corps, à mes cuisses, à mon dos….
Tout l’éclat qu’ils avaient, que j’ai perdu trop tôt
Mettez-moi en un lieu qu’on appelle Musée
Ou encore sur la scène d’un théâtre engagé.
Vous n’avez plus de lait ? Mettez-moi donc de l’eau !
Ne serait-ce que pour éduquer les marmots
Ainsi je trouverai de nouveau un’ fonction
Utile au genre humain ! Heu ! oui, mais attention !
Ne faites pas de moi un objet de commerce,
Car je ne voudrais pas qu’un gniolu ne me perce.
Pierre Favre
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