Fun en Bulle

Nous vous présentons le poème que nous a fait parvenir Pierre Favre notre ancien Président et Fondateur de Fun en Bulle.

Loges
(ou : dans les coulisses du théâtre)

1
Après avoir été une quinzaine d’années
Président directeur d’une troupe de théâtre
Je pourrais affirmer sans jouer au psychiatre
Que j’étais à la tête d’un office de santé.
Il fallait être fou pour rassembler ainsi
Sur un même plateau autant de gens soumis
Au penchant naturel pour tout individu
D’être à certains moments estimé farfelu.
Mais il faut reconnaître – et je l’avoue d’emblée,
Que je l’étais moi-même lorsque j’ai décidé
D’entraîner derrière moi tous ces individus
Qui pensaient n’exister que s’ils étaient bien vus.
2
C’est un geste vital que de vouloir montrer
A ceux qui nous entourent nos propres capacités.
Les animaux eux-mêmes dans la nature le font
Lors du moment crucial de la reproduction.
Alors je me demande si ce n’est pas pour ça
Que l’être humain aussi fait du vedettariat,
Impulsion qui l’amène à montrer ses talents
Avec l’idée certaine d’être dorénavant
Le meilleur élément dans sa catégorie
De comédiens doués… pour la plaisanterie !
Car un jour on se voit hélas tomber de haut
Quand on nous fait comprendre qu’on s’est trompé de show…
3
En quinze ans j’en ai vu de ces fieffés talents
Qui occupaient les loges juste avant de jouer
Essayant d’oublier la tension du moment
Chacun a sa façon unique ou partagée.
J’ai bien vu celui qui à chacune des soirées
Débouchait la bouteille qu’il avait camouflée.
J’ai vu le grand costaud se balader en slip
Entre les paravents séparant les équipes.
Un autre chaque soir dans son coin s’isolait
Avec un bon copain avec qui il trinquait.
J’ai vu la belle brune un peu frustrée en somme
Se balader seins nus et sans gêner personne.
4
Il faut avoir connu cette ambiance feutrée
Inondée du silence qu’il fallait respecter
Pour comprendre ce qu’est la vie dans les coulisses
Que menaient chaque fois nos comédiens artistes.
Une actrice parfois se mettait à pleurer
Sans que je sache pourquoi la tension l’éprouvait ;
Quel trop plein débordait de sa vie de famille ?
Un échec d’amoureux ou simple histoire de filles ?
Il fallait dénouer l’intrigue sur le champ
Vu qu’après, chaque fois, le spectacle en dépend.
Certains n’ont pas compris comme était éprouvante
Cette fragilité des acteurs en attente.
5
De ces heures passées aujourd’hui il ne reste
Que ce que j’entendais juste après les trois coups :
J’avais donné ma part d’angoisse manifeste
Sans qu’aucun des acteurs ne l’ait vu sur le coup,
Le but étant la nécessaire concentration
Avant que tous ne rentrent en scène pour de bon.
Les fidèles régisseurs comme les acteurs en piste
Avaient pris le relai. C’étaient eux les artistes.
Et j’ai toujours pensé, et je le pense encore
Que tous ont assuré sans défaillance le sort
Des pièces que nous avons ensemble présentées
Pour le grand bien de tous, et de la société.
Le Piaf (7 févr. 2021)